Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Blog de Cogan
7 mars 2006

Mumia Abu-Jamal, ce héros.

Chers amis,

En collaboration avec notre Collectif Unitaire National, nos amis de
l'association Ensemble Contre la Peine de Mort (ECPM) ont recueilli une
interview exclusive de Mumia Abu-Jamal. Cette interview a été publiée le 23
février sur le site de l'association (www.abolition.fr). Nous la portons
intégralement à votre connaissance.

Pour le Collectif Unitaire National
de soutien à Mumia Abu-Jamal,
Jacky Hortaut

Mumia Abu-Jamal : « J'ai besoin de vous ! »

Le plus célèbre des condamnés à mort américains, citoyen d'honneur de la
ville de Paris, nous livre, de sa cellule du couloir de la mort de la Prison
de SCI-Greene en Pennsylvanie, un peu de son quotidien et beaucoup de son
regard sur le monde. Vingt quatre années d'enfermement n'ont pas entamé sa
détermination à le changer.

ECPM : En France, vous êtes l'un des condamnés à mort américains les plus
connus, une large part de l'opinion française suit votre affaire et ses
rebondissements au fil des années. Pour nous, militants des droits de
l'homme vous nous êtes devenus familiers, comme proche. Cela peut paraître
incongru, mais j'ai envie de commencer cet entretien en vous posant cette
simple question : comment allez vous Mumia Abu-Jamal ?

Mumia Abu-Jamal : Tout bien considéré, pas mal. Je m'occupe : travaux
d'écriture, courrier, lecture...

ECPM : A quoi ressemblent vos journées ?

Mumia Abu-Jamal : Je me lève tôt (6 heures), je prends mon petit déjeuner et
me rends dans la cour (en réalité la cage) pour quelques heures. Les
activités quotidiennes constituent le coeur même de la prison ; je m'efforce
de varier ces activités et de ne pas m'enfoncer dans la routine. J'ai
toujours beaucoup à faire et il arrive que toutes les heures de la journée
n'y suffisent pas. Je lis probablement beaucoup plus aujourd'hui qu'à
l'époque où j'étais étudiant - j'en suis quasi-certain. En ce temps-là, si
je voyais un livre de 700 à 1000 pages, je poussais un gémissement ; cela ne
m'arrive plus. Sinon, nos journées sont essentiellement rythmées par les
repas. On déjeune vers 9h45 environ (c'est tôt !!!) et le dîner vient à 15h
45 (!!!).

ECPM : Et votre cellule ?

Mumia Abu-Jamal : Les cellules sont dans l'ensemble petites, mais il est
vrai que les cellules de la prison "générale" sont encombrées, avec deux
occupants dans un espace prévu pour une seule personne. Ce n'est pas
(encore) le cas pour les cellules du couloir de la mort.

ECPM : Beaucoup de condamnés à mort américains se plaignent d'une
détérioration des conditions de détention ces deux dernières années, faites
vous le même constat ?

Mumia Abu-Jamal : Je crois - d'après ce que j'ai vu et entendu - que les
conditions en prison ont empiré ces derniers temps, elles se sont durcies.
Parmi les nombreuses raisons possibles, on peut citer en particulier ce
qu'on appelle l'Acte de réforme des contentieux en prison (Prison Litigation
Reform Act, PLRA), qui a été mis en place sous la présidence de Clinton,
ainsi que d'autres lois des États qui ont limité l'accès des détenu(e)s aux
cours. Le plus scandaleux est que PLRA et ces autres lois sont fondés sur
des mensonges. Au cours des années 90, les procureurs généraux de divers
États ont entamé une campagne médiatique contre ce qu'ils appelaient les
«réclamations idiotes» introduites par des détenus pour des raisons telles
« Je n'ai pas reçu la commande de beurre de cacahuètes que j'avais demandée,
et je considère donc avoir été lésé dans l'exercice du droit de ne pas être
soumis à un traitement "inhabituel et cruel" que me reconnaît le 8ème
amendement.» Les médias américains ont mis en exergue ce type d'histoires,
le plus souvent sans vérifier leurs sources, et les politiciens, sous la
pression des médias, ont passé des lois visant à limiter l'accès aux cours
et ont donné naissance au PLRA. En fait, un juge fédéral de New York a
vérifié plusieurs de ces récits et a trouvé qu'ils méritaient souvent d'être
approfondis et que bien souvent, les faits ne correspondaient pas du tout
aux histoires colportées par la presse. Mais il était trop tard : la presse
et les politiciens avaient déjà sévi. Par voie de conséquence, les prisons
sont pires aujourd'hui qu'il y a 10 ans et le nombre de plaintes acceptées a
chuté. Pensez-y ! Nous avons pu voir en Iraq la monstrueuse brutalité qui
règne dans certaines prisons. Est-ce pure coïncidence si le pire des
gardiens de prison du goulag de Bagdad est dans le civil un gardien de
prison américain de Pennsylvanie, de SCI-Greene prison où Mumia est enfermé,
ndlr) La distance qui sépare les prisons américaines et Abu Ghraib se mesure
en pouces, pas en
milles.

ECPM : Comment expliquez-vous ce durcissement ?

Mumia Abu-Jamal : Je tiens vraiment les politiciens et l'ensemble de la
presse pour responsables. Voyez vous, il y a bien des années, le psychologue
Philip Zimbardo a divisé un groupe d'étudiants en deux : la moitié sont
devenus des "détenus", l'autre des "gardiens". En quelques jours, voire en
quelques heures, les "gardiens" ont formé des cliques brutales et sinistres
à l'encontre des "détenus". Le professeur Zimbardo était le "chef" de cette
prison improvisée dans les caves d'un collège. Il s'agissait en quelque
sorte de gosses qui jouaient des rôles, mais le jeu est vite devenu
tellement réaliste que Zimbardo a dû mettre rapidement fin à l'expérience :
il craignait que celle-ci n'entraînât des troubles graves et même chroniques
sur le psychisme de ces étudiants ! S'il en est ainsi pour une expérience de
cinq à sept jours, qu'en advient-il dans le monde réel ? C'est Dostoïevski
qui a écrit qu'une civilisation se reconnaît à la nature de ses prisons.

ECPM : Revenons à votre couloir de la mort, avez-vous des relations avec
d'autres condamnés ?

Mumia Abu-Jamal : Les moyens de communication avec les gars autour de nous
sont limités. Bien souvent on crie à travers les portes, mais je trouve cela
dégradant. Les prisons les plus modernes du pays sont conçues pour un
maximum d'isolation, ce qui veut dire qu'un homme peut vivre dans la cellule
d'à coté sans que son voisin puisse le voir pendant 6 mois (ou 6 ans !!)
sauf à ce que les deux se retrouvent dans les salles de parloir. Il n'y a
pratiquement pas d'occasion de dialoguer.

ECPM : Cela fait pour vous vingt trois ans d'incarcération. Comment
supportez vous l'enfermement conjugué à l'injustice ? Qu'est ce qui vous
fait tenir ?

Mumia Abu-Jamal : Je connais d'autres frères et s¦urs, dont des membres de
MOVE, qui ont été injustement emprisonnés plus longtemps que moi ! Je
m'inspire donc de ces personnes. John Africa, le leader révolutionnaire de
MOVE a dit : « Lorsque l'on s'est engagé à faire ce qui est bien, le pouvoir
de la vertu ne trahit jamais ». Lorsque je pense à la durée durant laquelle
le peuple africain était injustement confiné dans la prison de l'esclavage,
pendant des siècles, j'ai une petite idée de ce que peut être la force. Mes
ancêtres étaient des hommes et des femmes forts. Concrètement au quotidien,
en tant qu'écrivain j'écris et cela m'aide beaucoup à tenir. Je suis aussi
un artiste, j'envoie donc des cartes à mes amis et à ma famille pour les
occasions spéciales. J'aimerais répondre à tout le courrier que je reçois,
mais je ne peux tout simplement pas. Je n'ai pas suffisamment d'enveloppes,
encore moins de temps. Je fais du mieux que je peux et j'espère que les gens
sont compréhensifs et me pardonnent.

ECPM : Vous êtes citoyen d'honneur de la ville de Paris, quelle importance y
accordez-vous ?

Mumia Abu-Jamal : C'est un grand honneur. Je me souviens du jour où ma s¦ur
me l'a annoncé. J'ai pensé « Wow ! Ça doit ressembler à ça d'être un
Ocitoyen', car je n'ai jamais eu le même sentiment même après 50 ans de vie
aux États-Unis ! ». Lorsque j'analyse cette vie, de mon enfance jusqu'à ce
jour, je n'ai jamais eu le sentiment d'être un vrai Ocitoyen' de mon pays
natal. J'ai voté, bien entendu, j'ai payé mes impôts. Mais le gouvernement,
pendant la plupart de mon existence était un adversaire qui tuait mes
camarades politiques, qui tuait mon peuple par la vie dans les ghettos, par
une mauvaise alimentation, des flics racistes, des juges racistes, une
scolarité médiocre... Ça m'a pris 50 ans, et la vie dans le couloir de la
mort, pour devenir enfin un citoyen ­ d'un autre pays ! Je remercie les
habitants de Paris, et de la France, pour cet honneur.

ECPM : En France, le mouvement de soutien à votre libération est
particulièrement dynamique et investi, comment l'expliquez-vous ?

Mumia Abu-Jamal : Je pense que la France, dans ce domaine, possède beaucoup
d'avance sur son cousin américain. Je me demande souvent pourquoi il en est
ainsi. Et je pense qu'au bout du compte, c'est la façon dont la France et
les USA regardent leur fondation révolutionnaire et les principes exposés
dans les articles de leur fondation. Lorsque la Constitution des États-Unis
a été écrite, les noirs ont été implicitement exclus, et ce pendant plus de
100 ans. Lorsque les Américains pensent à la révolution, la Constitution,
les Fondateurs, il y toujours des gens qui sont exclus. La Révolution, la
Constitution, Georges Washington deviennent d'abord des fétiches, puis de la
marchandise qui peut être vendue ou colportée pour gagner de l'argent,
certainement pas des principes directeurs inviolables par des riches et
puissants. Je pense qu'en France, la Déclaration des Droits de l'Homme et la
Révolution qui l'a enfantée sont plus profondément ancrées dans les vies et
dans l'esprit des gens. Voilà pourquoi la France est devenue l'asile des
rebelles et l'Amérique, la maison de retraite des dictateurs. Combien de
gens qui fuient les dictateurs de l'Asie, de l'Afrique et d'ailleurs
trouvent refuge en France ? Lorsque les réfugiés haïtiens arrivent en
Amérique, soit ils sont enfermés dans la Krome Detention Center à Miami ou
renvoyés en Haïti (d'un côté, c'est mieux qu'autrefois où ils étaient
emprisonnés à Guantanamo ! Mais ils les ont foutus dehors pour laisser la
place aux Afghans, aux Saoudiens, Égyptiens).

ECPM : De quoi avez vous besoin aujourd'hui ?

Mumia Abu-Jamal : J'ai besoin de monde pour organiser et construire un
mouvement plus grand et plus fort. Un simple citoyen français peut parler à
un autre citoyen et ainsi de suite. Ils peuvent devenir membres de nos
comités de défense et construire le mouvement. S'ils deviennent assez
puissants, ces mouvements peuvent amener le changement !

ECPM : Quel message souhaiteriez vous adresser aux abolitionnistes ?

Mumia Abu-Jamal : Merci de faire partie du mouvement abolitionniste. Votre
travail est très important, non seulement pour moi, mais pour des milliers
d'hommes et de femmes dans les couloirs de la mort à travers les États-Unis
et partout dans le monde ! Merci mes amis ! Votre frère (en français dans le
texte, ndltr).

Propos recueillis par Emmanuel Maistre.
Traduction : Claude Guillaumaud-Pujol, Dany Khayat, Michel Thuriaux,
Tim Broadbent.

Publicité
Commentaires
K
j'sais plus quoi dire sur la peine de mort, tout à était dit j'ai l'impression, et pourtant........................................................
Le Blog de Cogan
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité